Suite à mes différents articles sur les Ramen à Bruxelles, j’ai reçu un long commentaire et surtout un long explicatif, d’un Japonais, plutôt expert en la matière.
Ses propos étaient tellement intéressants, que j’ai décidé d’en faire un article : Kill Bill Au Pays De La Frite (ca va saigner)
Nous appellerons notre hôte Nakamura (un nom d’emprunt), il est japonais mais vit à Bruxelles depuis 40 ans, et il a son mot à dire.
Nakamura : Bonjour Normann,
J’apprécie beaucoup vos articles gastronomiques, et ils m’inspirent souvent d’excellentes visites gustatives. Néanmoins, je tiens à corriger les informations erronées, quand j’en vois.
Le propriétaire original du Yamato est Yuji Inagaki et non Kaori Yamato. Son épouse s’appelle Kaoru; peut-être la source de cette dé(sin)formation…?
Yamato est le nom de l’ancien Japon. Ce n’est pas le patronyme du patron.
Normann : Et dire que pendant toutes ces années les journalistes et blogueurs (moi y compris) nous nous sommes trompé sur toute la ligne.
Nakamura : Le ramen-ya (Yamato) était là depuis 1988. Au départ, il ouvrait midi et soir mais à la longue, il n’ouvrait plus que le soir. Il fallait prendre son mal en patience car les clients fidèles s’étaient accoutumés à faire la file 1/2h voire 3/4h avant l’ouverture, et ce même en plein hiver.
Je peux comprendre que l’on ait envie de ramen en hiver pour se réchauffer mais même en plein été, au plus fort de la canicule bruxelloise, le restaurant avait ses aficionados… masochistes vu les vêtements trempés de sueur et les visages dégoulinants lors du slurpage du bouillon 😀
Les ramen du Yamato étaient connus des Bruxellois mais aussi des Japonais de passage dans notre pays. A tel point que de nombreux expatriés japonais faisaient le voyage de Dusseldorf, ou de Paris afin de se repaître des délicieux gyozas et autre misokatsu (ramen)… alors qu’ils ont plein de ramen-ya dans leur ville. Faut croire que le Yamato valait le déplacement, car les Japonais ne reculent pas devant un peu de route si leur appétit est en jeu. Moi-même faisais souvent la route pour Dussel ou Paris pour un bon ramen… avant l’ouverture du Yamato à Bruxelles. 🙂
La réputation du Yamato et de son misokatsu a fini par percoler au Japon et à 3 reprises, des équipes de la télévision japonaise (FujiTV, NHK, etc.) sont venus tourner des documentaires gastronomiques centrés autour du Yamato. Les Japonais sont de fervents adorateurs du ramen donc quand un ramen-ya perce à l’étranger, il y a une curiosité mêlée de fierté chauvine qui titille leur gourmandise.
Yuji Inagaki y explique notamment qu’il a décidé de mettre un tonkatsu (porc pané) sur le ramen car il avait pressenti que le Belge – en bonne fourchette qu’il est – ne se satisferait pas du tchashu classique (le rôti de porc laqué), alors qu’au Japon, ce n’est pas du tout une pratique courante. Moi-même n’ai jamais vu de tonkatsuramen au Japon mais peut-être que la diffusion de ces documentaires au Japon aura éveillé l’intérêt de certains ramen-ya, qui sait?
Ceci explique que la plupart des Bruxellois qui vont au Japon ou ailleurs pensent que tous les ramen-ya proposent des misokatsu à la carte, ce qui n’est évidemment pas le cas. Le tonkatsu sur le ramen, c’était une marque déposée du Yamato. De nombreux fans du Yamato, à sa fermeture, se sont tournés vers le Nanaban, le Kokuban, l’Umamido, le Menma et le Samourai ramen, à la recherche du misokatsu perdu, mais il a fallu attendre quelque temps pour qu’ils en proposent effectivement (sauf le Nanaban qui campe sur ses positions « traditionnelles »).
Aujourd’hui, le (miso)katsuramen a essaimé dans d’autres villes; j’en ai mangé à Dusseldorf, à Paris, à Frankfurt, à Hamburg, mais ils ne me procurent pas la même sensation de plénitude que ceux du Yamato.
Lors de sa dernière année de service, Gault Millau a décerné le prix du meilleur restaurant asiatique de l’année au Yamato et l’équipe de Yuji Inagaki (si mes souvenirs sont exacts, en 2014? soit après 27 années de loyaux services depuis l’ouverture en juillet 1988), une reconnaissance et les accolades de la profession.
Kato-san a repris le Yamato après deux ans (suite à la fermeture par Yuji Inagaki fin 2015) mais il a légèrement modifié la recette du bouillon, les toppings et bien évidemment les nouilles ne sont pas les mêmes, vu qu’il les fait lui-même (grand bien lui fasse).
Aujourd’hui le ramen est devenu un plat très couru des bobos de tous bords mais il ne faut pas oublier que, au départ, c’est un plat qui se veut populaire qui se mange sur le pouce et – surtout – très économique (un peu l’équivalent des frites mayos), alors quand je vois des ramen à 18€ chez Umamido ou Menma, je sursaute!
Certes les ingrédients sont moins faciles à dénicher que pour un spag bolo, mais quand-même, le ramen est victime des fashionistas de la bouffe!
Je précise au passage que les ramens de chez Makisu ne sont absolument pas des ramen; ils utilisent un bouillon à base de shoyu et de bonite séchée, ce qui le rapproche davantage des sobas et udons, même s’ils y rajoutent des nouilles de type ramen dedans. Alors que le ramen est issu d’une tradition culinaire chinoise plutôt à base de bouillon d’os de porc et poulet, et de légumes divers. Rien à voir donc (et pas que pour les puristes :D)
Je pense être assez indépendant pour donner un avis sur le Yamato et les autres ramen-yas en Europe (par exemple, les premiers ramenyas à Londres étaient catastrophiques, ceux à Paris valaient le détour mais étaient inconstants, ceux de Dusseldorf avaient ma faveur, etc.) car j’adore les ramens et si ceux du Yamato étaient inférieurs au Menma, je le dirais sans broncher.
Nous sommes encore au début de l’ère des ramen dans toutes les villes du monde; gageons que la popularité de ce plat gagnera encore du terrain sur les infâmes pizzas, hamburgers et « faux » sushis de tous bords, parallèlement à l’avènement de l’ère Pho, qui semble aussi gagner du terrain 😉
Quand je vois Carlo De Pascale cuisiner un ramen sur la RTBF dans les pigeons, je me dis qu’on a passé un cap, que -enfin- le Japon n’est plus cantonné aux sempiternels sushis (ou aux gesticulations hollywoodiennes des teppanyakis) et c’est très bien.
Normann : Mais pourquoi Yuji Inagaki n’a jamais pensé à faire corriger son nom?
Nakamura : Yuji Inagaki n’étant pas du tout un homme de communication, il n’a jamais fait l’effort d’écrire aux journalistes pour corriger ce qu’ils publiaient. De toute façon, en bon samourai des fourneaux, il n’avait cure de ce que les gens écrivaient ou disaient de lui… Seul comptaient la concentration sur sa cuisine et la satisfaction des clients qui revenaient, toujours fidèles, depuis 1988.
Commentaire :
Je ne sais pas si le critère % de clientèle japonaise est encore pertinente de nos jours pour justifier la qualité, vu la popularité grandissante des ramens et des gyozas (qui sont un peu l’accompagnement de facto des bons ramens).
Par exemple, les gyozas de chez Yi Chan sont très bons, de chez Goku aussi, relativement corrects aussi chez Takumi, alors que je n’ai vu ZERO Japonais qui fréquentent l’endroit (à part moi).
C’est un critère que j’utilisais aussi volontiers pour déterminer le degré d’authenticité des restos chinois dans le temps, mais je dois reconnaître qu’aujourd’hui, vu le niveau de cosmopolitisme de la clientèle bruxelloise lambda (qui dans sa bonne majorité a déjà goûté aux plaisirs du voyage culinaire hors de nos frontières contrairement aux générations précédentes), c’est probablement un critère de moins en moins pertinent.
Je suis assez d’accord avec votre classement.
1. Yamato le plus authentique, une affaire familiale, en tout cas jusqu’en 2015. Mais même depuis que les entrepreneurs du Menma ont repris le pas de porte, il reste mon favori… probablement à cause des gyozas, du misokatsu, du katsudon, du katsurice, et de son comptoir casse-gueule 🙂 La seule chose qui s’est vraiment amélioré depuis la reprise en 2017, c’est la disparition des files d’attente devant le resto! Chouette…
2. Nanaban (même si le patron – ancien employé de banque reconverti au ramen à 60 ans – peut paraître antipathique – je pense que c’est le seul cuisinier japonais à Bruxelles capable de s’exprimer en japonais, anglais, français et néerlandais!!! quite a feat 😉 Le patron a été se former aux ramen au Japon (un voyage initiatique et libérateur après moults années de bureaucratie)
3. Umamido Flagey (le premier et le meilleur, avec son chef polonais slow-food, mais je crains qu’il soit parti vers d’autres horizons… il était très créatif – vous avez dit ramen au homard? – et son kimchi pork bun était de loin le meilleur de tous les umamidos. très loin au-dessus de celui de chez Knees to Chin par exemple)
4. Menma Sainte Catherine (pour l’instant, Kato-san a délaissé le Yamato pour le quai aux Briques, et il crée tous les mois de nouveaux ramens, qui méritent le détour)
5. Goku (tenu par un couple asiatique mais pas japonais – fait de très bons gyozas maison aussi!)
Kokuban, les autres Umamido et Menma, Samourai ramen arrivent plus bas dans le classement
Il y aussi le Minami en face du Cirque Royal pour les plus aventureux… 🙂
Nakamura : En toute justice, je me dois de mentionner la participation indispensable de Guy Daly dans le projet Yamato, le bras droit de longue date de Yuji Inagaki.
Belge de naissance mais nippophile (voire nippomaniaque) de longue date, Guy est un sympathique touche-à-tout très habile de ses mains; il a été danseur chez Béjart dans sa jeunesse puis s’est tourné vers la réalisation de décors pour le monde du spectacle. C’est lui qui a entièrement imaginé le concept intérieur du Yamato, la cuisine ouverte et le comptoir en pin, les aménagements; la fameuse banquette (avec rangements sous les coussins) à laquelle ont droit les premiers arrivés avant de s’asseoir au comptoir, le coin bibliothèque (avec les mangas en japonais d’abord puis les BD franco-belges par la suite),
Et c’est aussi lui qui a eu l’idée de l’estrade casse-gueule car il avait fait le comptoir trop haut pour les chaises (il y a eu moult incidents à cause des chutes involontaires – heureusement sans mal) 🙂
A yeux d’un Japonais, ces petits détails peuvent paraître kitsch mais à l’époque, mais cela correspondait probablement à ce que Guy se faisait comme idée de ce que les Belges connaissaient du Japon. Je ne sais pas si vous vous souvenez des petits lampions au-dessus des comptoirs, ou du papier métallisé doré et chiffonné? 🙂
Normann : Merci Nakamura d’être passé sur mon blog, merci pour les images d’époque, maintenant on en sait un peu plus sur les ramen 🙂
Kill Bill, un film assez sanglant en effet … bel article.
Merci
Je décrirai encore plus volontiers l’ambiance -perdue, par malheur- de l’poque du tandem Yuji et Guy.
J’ai commencé à fréquenter le Yamato en 1989.
Que des bons moments passés à ce resto.
Quand on commandait une bière, l’inévitable question de Guy : « locale ou étrangère? ». Les non-initiés se retrouvaient bien perdus.
Ou la réaction de Yuji ou Guy quand les clients d’origine nippone voulaient payer en Yen (si, si, je l’ai vu, ce n’est pas une légende).
J’ai ensuite passé quelques années à l’étranger. Quand je suis revenu, vers 2011, le Yamato avait totalement changé.
J’y suis allé quelques fois, jusqu’au jour où on m’a servi le kastu encore cru (pas cuit du tout) sur le bol de ramen. J’ai manifesté mon « inconfort » au serveur qui m’a regardé de travers. Lorsque le patron s’en est mêlé, il était tout embêté.
N’empêche, le bouillon est très très loin de celui des débuts.
Juste pour dire : j’ai appris à le faire à la maison et je fais mieux qu’eux, tout en étant encore très loin du bouillon de Yuji.