J’ai connu Karen Torosyan il y a tout juste un an; j’avais rejoins un cours de cuisine chez Mmmmh et j’avais choisi sa cuisine. Karen est le chef du restaurant Bozar Brasserie, et je vais commencer par vous situer le restaurant sur la carte. L’endroit est tout simplement magique, car il se trouve entre les principaux monuments et places de Bruxelles, le palais Royal, le Mim (Musée des Instruments de Musique), la Galerie Ravenstein, la Place Royale et ses musées, le sablon et la Grand’ Place, sont à quelques mètres du restaurant. C’est un emplacement stratégique pour toute personne qui visite Bruxelles.
Attention cet article est long (plus long que les autres) je n’ai pas pu concentrer le savoir de Karen en une demi-page.
Voilà un chef artisan/artiste (bien qu’il n’aime pas le terme d’artiste et préfère celui d’artisan ) travailleur du goût par excellence. Ce jeune chef originaire de Tbilisi (Géorgie), pur arménien et fier de ses origines, débarqué en Belgique à l’âge de 18 ans, est devenu en quinze ans un des plus grands défenseurs de la gastronomie française la plus aboutie. Karen est un bosseur, un orfèvre, capable aussi bien de créer des plats surprenants et originaux que de restituer les chefs d’oeuvre de la gastronomie française comme s’il était né dedans. Depuis décembre 2015, Karen peut s’enorgueillir du titre de Champion du Monde du Pâté Croûte, un artisanat qu’il a élevé au rang d’art absolu!.
En 2016 Karen Torosyan obtenait sa première étoile Michelin largement méritée pour son restaurant Bozar Brasserie. Cette même année il obtenait la note de 16/20 au Gault &Millau 2017 et était sacré meilleur artisan-cuisinier quelques semaines plus tôt. Meilleur artisan-cuisinier c’est la consécration dont il est le plus fier et voilà ce qu’il en dit « j’adore mon titre de 2017, je me revendique artisan, je défends l’artisanat je suis le fils d’un artisan et je suis un artisan dans l’âme« .
Ce petit bonhomme de 37 ans est fasciné par la cuisine traditionnelle française, alors que les pâtés en croûtes avait presque disparu des cartes, Karen les remet à l’honneur. Il sert au restaurant Bozar Brasserie des Koulibiac (une tourte originaire de Russie) à base de poisson ou de viande et de légumes. Des pithiviers une merveille de technicité qui nécessite 2 à 3 jours de préparation, Sous le feuilletage, se cache du canard au sang de Challans et du foie gras d’oie, posés sur un matelas de légumes de saison, le tout servi avec un jus corsé de canard, une merveille.
Une de ses plus belles réalisations « l’Oreiller de la Belle Aurore », un pâté en croûte froid imaginé par Brillat-Savarin pour sa mère Claudine Aurore Récamier. La forme carrée et le moelleux intérieur lui ont rapidement servi de nom.
Un petit nombre de cuisiniers se sont essayé à sa réalisation, pour n’en citer que deux : Paul Bocuse et Guy Girerd. Chaque pièce pèse une trentaine de kilos. Sa réalisation nécessite une quinzaine de viandes dont dix gibiers, sans oublier les farces (une par gibier), le foie gras, la volaille de Bresse AOC et bien sûr les truffes noires et quelques pistaches pour la couleur.
Caille, pigeon, palombe, perdreau, grouse, volaille de Bresse AOC, canard mulard, faisan, colvert, lièvre, lapin de garenne, chevreuil, biche, marcassin, foie gras, ris de veau, truffes du Périgord, ainsi que des farces diverses…
Inutile de vous dire que modeler la farce de ce pâté selon un plan de montage aussi précis que rigoureux n’est pas une mince affaire. L’idée étant de voir, à la coupe, chaque viande farcie indépendantes les unes des autres.
Son Chou farci en croûte au porc noir de Bigorre, veau de Corrèze, ris de veau, sauce Périgourdine (voir plus bas).
Pas avare d’histoire le chef me raconte aussi comment il fabrique son pâté en croûte (voir la vidéo). Ce ne sont pas moins de 30 heures de travail, chaque semaine, pour préparer deux pièces (ni plus ni moins), représentant 30 couverts. C’est ainsi que, chaque semaine, trente personnes ont le privilège de goûter son pâté en croûte!
Alors même si Karen n’aime pas qu’on dise de lui qu’il est un artiste, moi je le dis n’en déplaise au chef. C’est un des rares cuisiniers qui quand je l’écoute parler m’émeut, me donne des frissons, sa cuisine me parle, moi qui aurait tellement voulu être cuisinier.
Le restaurant Bozar Brasserie c’est une grande salle, au cœur même du Palais des Beaux-Arts (BOZAR). C’est Victor Horta qui imagina cette première maison de la culture construite en Europe.
La cuisine est ouverte sur la salle (c’est tendance), ainsi à tout moment on peut se lever et regarder faire le chef.
La brigade du restaurant Bozar Brasserie c’est huit cuisiniers et apprentis et au service pas moins de quatre personnes.
Quand Karen arrive à Bruxelles il commence dans la brigade de Jean-Pierre Bruneau à Ganshoren, il devient son second au bout de six mois. Karen est un malade de boulot, 17h par jour parfois plus.
Après différents passages chez les plus grands de Belgique, Pascal Devalkeneer, Alain Troubat, vient la rencontre avec David Martin le chef du restaurant La Paix, qui le propulse à la tête du restaurant Bozar Brasserie.
Karen Torosyan n’est pas passé par les cuisines de David Martin, mais c’est une des premières personnes chez qui il voulait aller travailler.
Bon point, le pain est excellent, il est fait spécialement par Mr Laurent Richard (La fleur du pain) pour Bozar Brasserie, la cuisson est terminée sur place au restaurant. Le pain est grossièrement coupé, Karen a souhaité que le client prenne ce pain en main, le touche, le partage, comme on le ferait à la maison, le pain c’est un art qu’il faut savoir partager.
Pour fêter mes 60 ans, j’ai demandé à Karen de me concocter un menu cinq services pour huit personnes et d’inclure dans ce menu la fameuse tourte. Un haché moulé autour d’une feuille de chou vert, dans laquelle est inséré du foie gras.
- Mise en bouche coquille St Jacques d’ Erquy rôtie
- Embuée de chou vert poitrine de cochon confite
- Quenelles de sandre à la lyonnaise sauce nantua
- Tourte charcutière porc basque de Pierre Otuza (foie gras d’oie, ris de veau, chou vert)
- Tartelette aux agrumes meringuée
Je peux vous dire que ce menu fut à la hauteur des mes espérances, et plus encore. Mes convives furent ravis et plusieurs semaines après j’en entends encore parler.
S’il vous prend l’envie de goûter au nirvana, pensez à réserver, mais pensez surtout à préciser “Nous venons pour le pâté en croûte ou la tourte”. Et je ne vous dit qu’une chose: vous allez vous régaler, croyez moi!
C’est Alfred de Musset qui disait:
“Dans son assiette arrondi mollement, un pâté chaud, d’un aspect délectable, d’un peu trop loin m’attirait doucement.
J’allais à lui. Votre instinct charitable vous fit lever pour me l’offrir gaiement ».
Apres ce dîner mémorable pour un événement tout aussi mémorable, j’avais décidé d’y retourner pour un lunch de travail, sans surprise ce fut encore un repas et une nouvelle expérience réussie.
Non content de ces deux visites, j’ai souhaité (je sais je suis gourmand) goûter cette préparation saisonnière « le Chou farci en croûte ». J’ai attendu ce mois de mars et me voici donc pour la troisième fois chez Karen, pour un ultime menu.
- Tartare de bœuf au couteau
- Huître spéciale Gillardeau N°3, mousse à l’oseille, Caviar « Royal Belgian »
- Asperges de Carpentras, comté Marcel Petite, cecina de bœuf, sabayon au vin jaune
- Chou farci, porc noir de Bigorre, veau de Corrèze, consommé façon « bortsh »
- Éclair a la vanille bourbon, praliné- noisette
- « Snikers », tuiles cassantes au chocolat, ganache cacahuète, caramel au beurre salé
L’huître Gillardeau, sa mousse à l’oseille et son caviar (Royal Belgian) une autre façon de la déguster.
Les premières asperges vertes de Carpentras, servi avec ce sabayon au vin jaune et un cecina de bœuf (charcuterie d’origine espagnole), cette croquette de pomme de terre avec une pointe de comté, c’était l’assemblage pour moi le plus réussi, j’ai terminé le sabayon à la petite cuillère, c’est pour dire.
Le chou farci, dernier du mois de mars, servi avec son consommé Bortsch (une recette russe à base de betteraves).
Un peu (mais pas trop) du secret de fabrication du chou farci. Bien sûr les ingrédients doivent être d’une qualité irréprochable. Entre la noix pâtissière du veau de Corrèze (60%) et la poitrine du porc noir de Bigorre (40%), la partie de gras noble du porc, c’est un jeu d’équilibriste que mène Karen. Du gras oui mais du bon gras. Le cochon est mariné dans une saumure sèche (24h), puis haché, le ris de veau blanchi. On fait ensuite un consommé de bœuf, comme on fait un pot au feu, le chou entier et ensuite cuit tout doucement tout une après-midi dans ce consommé.
Puis le choux est suspendu afin qu’il s’égoutte, puis il est pressé entre des torchons et des poids. Enfin on procède à un étalage des feuilles de chou, on étale ensuite la farce, les tranches de ris de veau.
On fait une pâte à crêpe salée dans laquelle on ajoute des herbes, on cuit les fines crêpes et on vient enrouler les feuilles de chou dans les crêpes. C’est cette crêpe qui va faire le tampon entre la pâte feuilletée, le chou et la farce et ainsi absorber l’humidité, car ici Karen ne fait aucune cheminée, afin que les arômes restent emprisonnés à l’intérieur et que la cuisson se fasse à l’étuvé. C’est bien plus savoureux, et à une température dégressive les jus restent dans la viande. Sans cette crêpe le feuilletage manquerait de cuisson et ne serait pas croustillant.
Un « certain temps » de cuisson, c’est là que le chef reste évasif car il lui aura fallu des années de recherches pour justement trouver le temps idéal, pas question ici de tout révéler 🙂 S’en suit un « certain temps » de repos afin que le cochon continue à cuire dans sa pâte et arrive à la température idéale (qu’on ne révélera pas encore une fois).
Quant aux desserts, c’était la cerise sur le gâteau (c’est le cas de le dire). Hommage au chef pâtissier de Bozar Brasserie qui n’est autre que Khalil Mezni, un grand de la pâtisserie.
Alors que dire de plus sur la cuisine de Karen, c’est pour moi « la cuisine » qui me parle le plus, pas d’esbroufe dans l’assiette, c’est goûteux, point barre.
Le service est au top, n’hésitez pas à prendre conseil auprès d’Arnaud le maître d’hôtel/sommelier.
Les photos de cet article qui portent le ©Normann ont été prises par son auteur. Cet article n’est pas sponsorisé, j’ai donc payé mon addition.
Quel extraordinaire article!
Les mots me manquent pour dire à quel point ce texte et vos mots me donnent faim 😀
Par contre, nulle part on ne mentionne de prix, mais je suppose qu’on est dans le haut du panier (en croûte) ? 😉
Pas de prix car c’est a chacun de fixer ses barrières. La carte et les menus sont accessible sur le site web de Bozar 🙂
QUE DE BONS SOUVENIRS ET DES ENVIES D Y REVENIR = bravo au chef
Beau texte et bel hommage au travail d’artisan. Merci pour cette invitation à découvrir ce chef.